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Liège, hélas
27 janvier 2013

Comment je suis devenu journaliste XI

Il pleut. Ce qui me donnerait plutôt envie de me recoucher, mais comme j'entends déjà d'ici le bruissement de cent mille pares d'ailes de ma nuée d'admiratrices impatientes, je ne peux quand même pas les laisser ainsi dans l'attente. 

Je reviens un peu en arrière. Oui, la chronologie, c'est ennuyeux et ça permet aussi de vous voir vieillir plus certainement encore. À mes débuts, j'avais reçu ce conseil d'un autre critique puisque nous étions désormais deux dans le village. Ce n'est pas mal ce que tu écris (il n'allait quand même pas dire que ce que j'écrivais était mieux), mais tu ne devrais pas employer le "je" dans tes articles. Jacques était toujours de cette époque. Oui, lui dis-je, mais si j'écris "nous pensons que", ça veut dire que tout le monde pense comme moi, que je suis infaillible et je n'ai pas cette prétention là.

D'autant moins que je mélangeais souvent le récit de l'exposition à ma vie. Ce qui était aussi une faute déontologique dans le métier. Ce que j'ai trouvé absurde. Si vous visitez une expo en trimballant un abcès anal, serait-ce même la plus belle expo du monde, vous la verrez d'un autre oeil, si je puis dire dans ce cas précis. Alors, sans jamais allé jusqu'à exhiber ma vie plus privée, je commençais souvent les articles par "il pleut". Il neige ou, plus rarement, par il fait beau. Simplement parce que, à Lui, il fait rarement beau. Et j'ai continué à le faire. 

Il faut dire aussi que, en quelques mois, j'étais devenu un homme public, comme il existe aussi des filles publiques. Et, ça, ça m'emmerdait plus que tout autre chose. Jusqu'alors, je sortais fort peu. Je n'ai jamais trop aimé les soirées en boîte. Je préférais sortir dans mes mots. Ce qui irritait un peu mes amis. Je me souviens qu'à l'époque où je traînais mes semelles de plomb à l'Université de Luik, un ami m'avait quelque peu secouer le cocotier en me disant: "m'enfin Joseph, ce soir c'est le bal des romanistes, tu viens"! S'il avait su que j'en avais rien à faire de ce bal. En fait, il voulait que j'y vienne pour trouver une nouvelle chaussure à mon pied. Je venais tout juste de me faire larguer par ma première amoureuse. Je n'étais pas très bien. Je venais d'apprendre que l'amour toujours, c'était déjà miracle que le toujours dure cinq ans. C'est donc lourd comme un scaphandrier que je me suis rendu à ce bal. Que je passai assis à la table de mon ami et de sa copine. Soudain, une étudiante, plus que très belle je dois dire, vient, je ne sais par quelle aberration, m'inviter à danser. Non, merci, mademoiselle, je suis homosexuel. Je la vis pétrifiée. Maintenant, je me dis que, peut-être, sans doute, elle avait dû hésiter de longues minutes, respirer un bon coup avant de se décidet d'aller parler au mec aux longs cheveux et toujours habillé de noir. Elle revint néanmoins quelques minutes plus tard pour me dire que les pédés étaient des porcs. Ce qui me fit beaucoup rire. Quelques années plus tard, je racontais cette anecdote à une amie qui me dit: "tu sais, Joseph, à l'époque on était plusieurs fille qui crevaient d'envie d'aller d'abord prendre un verre avec toi, mais on n'osait pas t'approcher". Ah bon? Jamais remarqué. 

Fermons la parenthèse. J'étais donc devenu, sans le vouloir, un homme public. Un jour, je reçus, au bureau un coup de fil. C'était une dame qui voulait absolument m'inviter à prendre un verre et à discuter avec moi! J'allai donc au rendez-vous. Elle devait avoir la jeune quarantaine. Cheveux noirs, tailleur bcbg. Mais, monsieur Orban, me dit-elle alors que les consommations n'étaient pas arrivées, comment faites-vous pour écrire aussi bien? Question un peu bête parce que je n'en savais rien moi-même. Une ombre de réponse n'était pas encore parvenue dans ma tête qu'elle s'empara de mes mains pour les embrasser. Hum, bon, c'était mal parti. Monsieur Orban, j'achète le journal toutes les semaines, rien que pour vous lire. Bon, c'était une dame digne, comme nous étions dans un lieu public, elle n'est pas allée jusqu'à plonger sur ma braguette. J'avais bien fait de ne pas l'inviter chez moi. J'ai retiré mes mains car il m'en fallait bien une pour terminer mon café. Puis je suis parti. Et, en lui disant au revoir, je savais que je lui disais adieu. De fait, je ne l'ai plus jamais revue.

Je n'étais pas un assistant social de l'amour. Pas plus qu'un journaliste d'ailleurs.

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Commentaires
M
J'aime bien cette idée de sortir dans les mots plutôt qu'en boîte :)<br /> <br /> <br /> <br /> Ce que vous racontez du baise-main me fait penser à ce qu'avait dit Christian Bobin (l'esprit pas la lettre) : qu'il avait eu quelque doute le jour où quelqu'un lui avait caressé le bras avec dévotion...<br /> <br /> <br /> <br /> Moi je préfère qu'on aime les écrivains plutôt que les dictateurs...
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