Tout le Malheur du monde I
La première semaine, j'ai eu Toni comme voisin de chambre. Un Italien Rital de chez Macaroni chez qui on venait de découvrir le diabète. On l'a emmené dans ma chambre peu après minuit, avec 550 de sucre dans le sang. Autant dire qu'il était pas spécialement Al Pacino à voir. Le matin même; on lui a expliqué ce qu'était le diabète, tout ce que ça sous-entendait, l'auto-discipline, les interdits, les obligations. Tout le bataclan. Autant dire qu'il était pas Rocco Sifredi à voir. Il était au bord des larmes, Toni. Comme tous les diabétiques, il a d'abord lu l'interminable liste de ce qu'il ne pouvait plus manger en grosses quantités. Je lui ai conseillé de plutôt lire la liste de tout ce qu'il pouvait encore manger. Il m'a un peu parlé de lui. Supporter de l'AC Milan, même s'il avait un t-shirt de la Juve et de Ferrari. Il avait le moral d'un cheval cabré dont le moteur aurait explosé juste après le départ d'un grand prix.
Il passait sa journée à téléphoner à sa femme pour lui donner les résultats fluctuants de ses glycémies. Je passais les miennes à tenter de lui remonter le moral qui était plus bas que les dernières veines de charbon dans le sous-sol liégeois des années soixante. C'était un type sympa. Sa femme et ses deux fils venaient lui rendre visite chaque soir. Eux aussi, ils avaient reçu la nouvelle de plein fouet. C'est étrange mais, pour autant qu'ils servent à quelque chose, il n'y a jamais un seul psy pour aider à avaler la nouvelle. Certes, c'est moins dur que si on vous annonçait que votre cancer généralisé vous laissait un mois à vivre, mais quand même. Moi aussi, j'avais quatorze ans et quand j'ai lu le programme, je me suis dit que ce serait miracle si je fêtais un jour mon vingtième anniversaire.
Le matin, je disais à Toni que j'allais prendre un café en bas. J'avais bien compris que les chiottes communes de la chambre allaient le constiper durant plusieurs jours.
On a passé une "bonne semaine", si c'est possible en cet endroit. Il me demandait s'il pouvait regarder la télé; il s'étonnait que je lise tout le temps. On voyait bien que, comme on dit en wallon, sa femme et lui n'étaient pas "gras avec le vent qui leur souffle dans le cul", ça devait être pasta de la mama tous les soirs. C'était fini. C'était hier, il leur fallait commencer un nouvel aujourd'hui. Un autre demain.
La deuxième nuit, Toni regardait une série à la télé. Il s'est endormi vers minuit tenant dans ses mains la télé-commande comme un enfant aurait tenu son nounours. Ça m'avait fait rire. Mais, Joseph, tu aurais dû m'éveiller! Tu dormais trop bien.
Evidemment, comme tout le monde, il grognait sur la nourriture. C'est vrai qu'on hésiterait à la donner aux cochons...
Gare des bus de la Citadelle.
Nouvelle campagne publicitaire.