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Liège, hélas
10 février 2014

L'étranger

Même si j'ai déjà lu la Bible à plusieurs reprises, je n'ai jamais eu de Bible. Parfois, peut-être, quelques versets sataniques, comme celui-ci de mon ami Baudelaire :

L’ÉTRANGER

 

— Qui aimes-tu le mieux, homme énigmatique, dis ? ton père, ta mère, ta sœur ou ton frère ?

— Je n’ai ni père, ni mère, ni sœur, ni frère.

— Tes amis ?

— Vous vous servez là d’une parole dont le sens m’est resté jusqu’à ce jour inconnu.

— Ta patrie ?

— J’ignore sous quelle latitude elle est située.

— La beauté ?

— Je l’aimerais volontiers, déesse et immortelle.

— L’or ?

— Je le hais comme vous haïssez Dieu.

— Eh ! qu’aimes-tu donc, extraordinaire étranger ?

— J’aime les nuages… les nuages qui passent… là-bas… les merveilleux nuages !

 

La première fois que je l'ai lu, j'avais douze ans. J'ai tout de suite pressenti que telle serait ma vie. Je n'ai pas eu une enfance malheuse. Je veux dire que j'ai toujours eu à manger. Je pressentais que jamais je ne serais "riche". Je m'en foutais. Complètement. Je songeais à papa, qui a travaillé "comme un nègre" pendant 33 ans au Congo. Six jours semaine. Parfois, souvent sept. Avec ses heures supplémentaires payées en bouteilles de Johnny Walker. Et il faisait beaucoup d'heures supplémentaires. Beaucoup. Inconscient qu'il était d'être un esclave des temps modernes. Pis, il en était fier ! 

Des gens riches, je veux dire, très, très riches, j'en ai connu beaucoup. Y'en avait même même dans ma famille. Lui aussi, esclave inconscient. Il n'arrêtait jamais de travailler. Même le dimanche. Normal, il était vitrier et ça se casse souvent, les vitres, le samedi soir. Alors, il se levait le dimanche matin pour aller les remplacer avec ses esclaves. Qu'il payait très mal. Forcément, quand on est très très riche, on est forcément très très très pingre. Sinon, tu deviens jamais riche. Il avait 198 maisons. Sa femme 99 et lui tout autant parce que, à l'époque, je sais plus maintenant, ta centième maison, tu devais verser sa valeur chaque année à l'Etat. Et lui, son argent, il préférait le planquer quelque part au Luxembourg, à Jersey, quelque part par là. J'ai jamais mis mon nez dans ses affaires. J'aurais eu l'impression de prendre ma douche à Birkenau. Je veux dire après l'ouverture des portes.

Je n'ai pas de mépris pour les gens qui travaillent et qui tentent de gagner leur vie (qu'ils vont perdre, de toute manière). J'ai un profond mépris pour l'argent. C'est différent. Le même mépris qu'envers les politiciens contemporains. Mais c'est un autre sujet. Cela fait vingt ans que je refuse de me rendre aux mariages. Que je dis aux amis, aux amies, non, merci, j'irai à ton divorce. L'emmerdant c'est que, dans 80 % des cas, je vais à leur divorce. C'est souvent plus drôle qu'un mariage. Mais j'ai quand même des amis mariés, ou couplusculaires. Je ne les méprise pas pour autant.

Ma première amoureuse était une petite fille riche. Pas très très riche, mais quand même. Fille unique, quelques maisons et appartements. La "chance de ma vie" comme on me disait alors. C'est la première fille qui m'ait dit qu'à choisir entre un artiste sans foi comme moi et un mec avec un gros porte-feuilles, son choix n'avait pas été trop douloureux à faire. J'imagine. On me l'a sorti au moins une dizaine de fois celle-la. J'ai l'habitude. 

Même si cette rélexion est plus fondamentalement méprisante que mon mépris pour l'argent. Eh bien, quand elle m'a dit qu'elle me quittait, malgré ma peine (je suis, malgré tout, un animal sensible), j'étais heureux. Son père avait creusé mon tunnel. J'allais avoir un bon poste d'esclave dans son usine. Une maison. Même une de campagne en plus ! Le bonheur. Je me demande même si mon ouf de soulagement n'a pas provoqué queslques ouragans de par le monde ce jour-là. 

Je suis pauvre et fier de l'être. Je ne suis pas un chien. Je suis un loup qui exhibe son cou sans marque de collier...

Et ça, même les riches très très riches ne pourront jamais se le payer.

 

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