La mémoire et Hubert V

L'an dernier, me relevant à peine de mon agonie ratée, j'avais rendez-vous avec les filles de Hubert. L'une d'entre elles m'avait dit: "mais, tu sais, Joseph, papa t'aimait vraiment beaucoup". Je veux bien la croire. J'avais tout juste vingt ans et il avait accepté d'illustrer un de mes premiers livres alors que je n'étais qu'un gamin de merde qui se croyait écrivain. 

C'est rare, les gens qui osent dire "je t'aime. Ça m'est peut-être arrivé une ou deux fois dans ma vie. L'amour, ou ce que l'on considère comme tel, ça va souvent à contre-courant. Je suis tellement de fois tombé amoureux de filles ou de dames qui avaient autant d'intérêt pour moi qu'un loriot pour un phacochère. Bon, au début, ça fait mal, avec le temps, on attrape une carapace qui ferait pâlir de jalousie les tyrannosaures s'ils existaient encore.

J'ai eu, en tout et pour tout, trois amoureuses dans ma vie. Je ne me souviens pas qu'une seule d'entre elles m'ait dit un jour "Joseph, je t'aime". Jamais. Je leur accorde, le prénom Joseph est un fameux obstacle à prononcer cette phrase. Je me serais appelé Kevin, Jonathan ou Dylan, peut-être que... Mais, Joseph ! Heureusement que mes parents ne m'ont pas appelé Caca. Ça doit faire la même impression. Vous vous imaginez, vous, en train de dire, Joseph je t'aime ? Eh bien, dire Caca je t'aime, c'est la même chose.

Et l'internet n'y a rien changé. Ne parlons même pas d'amour. J'ai des amies lointaines qui me contactent parfois. J'ai remarqué dernièrement qu'elles ne me disaient jamais "Bonjour Joseph, comment vas-tu". Jamais. C'est toujours "bonjour, comment vas-tu". Jes les appelle pourtant par leur prénom. Elles gardent le mien dans leur clavier.

J'aurais peut-être dû m'appeler Judas, le plus beau des préoms masculins...