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Liège, hélas
28 janvier 2013

Comment blablabla XVI

Remarque, j'ai rajouté une fin au chapitre XIV.

Donc, persone ne le remarquait encore, mais le journal qui allait reléguer Libé avant même l'âge de la pierre, allait, lentement, mais sûrement sa route. Plus éloigné de Staten Island que nous rêvions de voir que le Titanic de l'iceberg qu'il n'avait pas vu venir.

Tant que je n'avais qu'à relater les expos, le travail était encore peinard. Maintenant que je devais parler des concerts, opéras, pièces de théâtre et tout et tout, c'était une autre affaire car, des concerts, il y en avait même les dimanches et jours fériés. De sorte que je rentrais tous les soirs plus que très tard, me demandant même parfois si je n'aurais pas mieux fait  d'écrire mon adresse dans mon agenda. Histoire de me souvenir d'où j'habitais encore.

Comme j'étais le plus jeune de l'équipe, comme j'étais le moins diplomé (juste un truc sans aucune valeur d'humanités secondaire en sciences humaines, section poubelle de l'école, décroché péniblement au bout de huit années fort peu exemplaires), j'eus droit à un sérieux baptème du feu: tenter d'interviewer Anna Prucnal. Je l'ai déjà dit, le milieu journalistique est très macho. Encore aujourd'hui, certains grognards se demandent toujours comment il est possible qu'une femme écrive dans la presse des articles autres que culinaires.

Bon, Anna Prucnal, c'était une femme, une prétentieuse, une salope méprisante, en plus d'être Polonaise. Je pris donc rendez-vous avec l'attachée de presse. Comme d'habitude, j'arrivai avec ce quart d'heure d'avance cher à mon papa. Je n'étais pas seul, il y avait aussi un autre journaliste, un vrai celui-la.

La chanteuse nous reçut dans sa loge. Toute vêtue de soie noire (elle aurait pas pu choisir une autre couleur, non?) et, je dois dire, énervée comme une Polonaise peut l'être. Elle ne nous fit quand même pas nous agenouiller devant elle, mais nous présenta un siège et nous le tendit comme l'on tend une écuelle à un chien moribond que l'on va euthanasier. L'interview n'était pas encore commencée qu'on sentait qu'elle avait envie qu'elle soit déjà terminée. Puis, coup de chance, miracle, je sais pas, sur sa coiffeuse, un livre que je venais de terminer quelques semaines auparavant. C'était Les sables de la mer de John Cowper Powys. Un livre de près de neuf cents pages pendant lesquelles il ne se passe rien pendant huit cents pages avant que le train-train n'éclate en tourbillons. Un chef d'oeuvre mais je connais peu de gens qui l'aient terminé. 

Bon, l'autre journaliste semblant n'avoir rien à dire, je sautai sur l'occasion. Hum, madame Prucnal, je vois ce livre dans votre loge. Vous aimez? J'aime tout ceux qui savent écrire. C'est pour cela que je n'aime pas les journalistes en général. Le tout avec l'accent roulant polonais. Hum. Ça commençait bien. Puis, diable sait pourquoi, peut-être à cause de ma timidité, je touchais le bas de sa jupe en lui demandant si c'était de la soie? Elle resta interdite durant quelques secondes. Oui, c'est de la soie... heu... j'aime bien les étoffes douces. Et, demain, dis-je, pour le spectacle, vous porterez des pétales de roses contre vos seins? Là, son étonnement fut pire encore. Mais, mais comment savez-vous que je mets toujours des pétales de roses dans mon soutien-gorge avant chaque spectacle? Parce que je sais tout et que je ne suis pas journaliste. Elle éclata de rire. Est-ce que vous êtes folle? Comme toutes les Polonaises, oui. Comment vous appelez-vous? Oui, Joseph, je suis folle comme toutes les Polonaises et c'est notre folie qui nous permettra de gagner.

On m'avait dit qu'elle n'accordait jamais d'entretiens de plus de dix minutes, cela faisait déjà une heure qu'on était là. Elle et moi parce que, au bout de dix minutes, elle avait interpellé l'autre journaliste. Et vous? Pourquoi êtes-vous là? Vous ne dites rien, si c'est pour me demander des nouvelles de mon dernier disque, j'en ai rien à foutre, sortez! C'est vrai qu'elle n'était pas très commode, finalement. On parla encore quelques minutes puis elle m'autorisa à assister à sa dernière répétition.

Le lendemain, j'étais au spectacle, j'étais obligé. À la fin de celui-ci, je pris un verre. La chanteuse signait quelques disques aux admirateurs. Puis, me voyant, elle me fit signe de venir. Joseph, j'ai quelque chose pour toi. C'était son dernier disque qu'elle me dédicaça en polonais. Et ça veut dire quoi, ça, Madame Prucnal? En polonais, ça veut dire je t'aime...

Je ne l'ai plus jamais revue. J'ai écrit mon article, je lui ai envoyé me doutant bien qu'elle n'était pas abonnée au journal qui allait remettre Libé à... Blablabla...

Six mois plus tard, je reçus un courrier venant de France. Une simple carte postale. Qui donc pouvait m'écrire de France?  Bien sûr, je ne réponds jamais aux journalistes, mais là, je devais te dire merci. Anna.

Enfin, je cite de mémoire parce que, il y a vingt ans au moins, j'ai prêté ce disque, avec la carte, à une amie. Et que les disques, c'est comme les livres, c'est comme les amoureuses, ça ne se prête jamais. Sinon, ça se perd définitivement.

 

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Commentaires
J
Il convient plutôt de ne jamais plus rien donner.
N
Faut pas prêter, faut donner.
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