Ma voisine

Ma voisine, la vraie, celle qui habite une maison plus bas que la mienne, s'inquiète parfois de savoir si elle ne me dérange pas lorsqu'elle prépare ses feutres et les sculpte pour en faire des chapeaux ou des fleurs. C'est vrai qu'elle fait cela après sa journée de travail et jusque tard la nuit, mais j'ai beau lui dire que je n'entends rien, elle me repose souvent la question. C'est une jeune dame discrète. Elle continue de me dire "vous", même si je lui ai déjà dit "vous pouvez me dire tu". Elise, ma fille, l'appelle Véro mais elle me dit que c'est pour ne pas confondre avec sa voisine à elle qui s'appelle aussi Véronique. 

En fait, je n'entends jamais ma voisine. Sauf quand elle passe l'aspirateur, quand elle sort sa tondeuse à gazon manuelle, petit bruit friselis qui rase légèrement sa pelouse ou quand, avant d'aller se coucher, elle parcourt ce qui doit être son living. Bruit de pas, de talons plutôt, sur le parquet. Clip, clap, clop... Clop, clap, clip... Sa maison est presque jumelle de la mienne, les pièces doivent avoir les mêmes petites dimensions. Mais cela n'a rien d'agaçant comme bruit. Mes ronflements nocturnes et mes quintes de toux du matin doivent être bien plus dérangeants. 

La sonnette de sa maison est en panne depuis deux ou trois ans. La mienne depuis au moins quinze ans. Parfois, mais je ne le ferai jamais, l'envie me prend d'aller tambouriner sur sa porte et de lui dire : "dites, Mademoiselle Véronique, c'est pas bientôt fini, ce silence" !