Niche à louer

Comme vous le savez, je dois quitter mon auge pour le premier novembre. Je sais que vous vous en foutez, et vous avez bien raison. Je dois quand même chercher un autre gîte. C'est un combat assez ardu. Dont voici le parcours...

Bonjour Monsieur (ou Madame), j'ai vu que vous aviez un appartement à louer. Première question : oui, quels sont vos revenus ? Je touche une pension d'invalide... Il n'y a jamais eu de deuxième question. C'est déjà chance quand on ne vous raccroche pas au nez. Certaines personnes disent quand même : "ah, non, monsieur, on ne loue pas aux invalides, vous ne gagnez pas assez".

On ne loue pas aux étrangers, on ne loue pas aux chômeurs, on ne loue pas aux invalides non plus...

***

Inlassablement, je trie parce que, si je trouve quelque chose, ce serait une auge plus petite encore. J'ai beaucoup de scrupules à jeter parce que je pense à ma fille. Mais, après tout, qu'est-ce qu'elle s'en foutra d'hériter  de l'oeuvre entier de Flaubert ? De ma dizaine de dictionnaires ? De la cinquantaine de gros catalogues des peintres que j'ai bien aimés ? Tout ça prend de la place. Un ami me disait de donner mes manuscrits non édités à l'Université de Luik ! Alors ça, plutôt crever avant la fin de ce message. J'ai même l'intention de me rendre au secrétariat pour leur demander d'être rayé des listes d'inscription. Mercredi, c'est poubelle des vieux papiers...

Qu'est-ce que Elise en aura à foutre plus tard, quand je serai devenu du fumier pour cyprès, que papa a connu tel ou tel artiste ? Que quelques femmes ont fait semblant d'être amoureuses de lui pendant quelques heures ? Rien. Strictement rien. 

Restent mes dictionnaires. Car si j'ai pu, pendant dix-huit ans, mis à part une brève parenthèse de dix mois à peine, vivre seul sans femme, il me serait impossible de vivre une semaine sans dictionnaire.

Mercredi, c'est poubelle vieux papiers. Je plains déjà les éboueurs...