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Liège, hélas
10 novembre 2012

La dernière, qu'ils disaient

Même si je n'ai, fort heureusement, connu aucune des deux guerres mondiales, mon enfance en a été imprégnée. Mon père avait treize ans quand elle éclata. Ma mère venait à peine ne naître. Mon père la passa dans les corons de Seraing. Ma mère en Angleterre où ses parents l'emportèrent en exil avec eux. Curieusement, l'anglais fut presque sa langue maternelle, elle ne voulut plus jamais la parler lorsqu'elle rentra au pays. Elle se souvenait de la foule qui l'emmenait sur ses épaules avec un petit drapeau belge dans sa main quand les hostilités cessèrent. Mon père se souvenait des premiers avions dans le ciel. Ça devait, pour lui comme tous les hommes de l'époque être des images apocalyptiques. Jusque là, l'homme guerroyait toujours comme au temps de Napoléon. Les troupes s'avançaient et ceux qui ne tombaient pas, continuaient de marcher. 

Ceux de 14, eux, découvraient des canons impossibles, mais aussi et surtout, l'horreur des tranchées. Desquelles on les faisait sortir, enivrés par je ne sais quel alcool. C'est à ce moment-là que les Allemands découvrirent l'héroïne, la bien nommée. J'ai toujours pensé que, sans 14-18, le surréalisme n'aurait jamais vu le jour. Ceux qui eurent la chance de sortir vivants de cette abominable boucherie, ne devaient plus jamais avoir la même vision de la vie.

Il y avait, dans la bibliothèque, quatre gros volumes racontant cette guerre. Je les ai lus plusieurs fois. Certes, ça devait être rédigé par un ou des historiens partisans. L'heure devait être plus à glorifier les "héros" qu'à la vérité historique. On parlait des Uhlans de la mort qui envahirent la Belgique, massacrant ci et là hommes, femmes et enfants sans se soucier de leur âge. Ces récits me pétrifiaient. Peu m'importe leur authenticité. Ce qui compte, c'est qu'ils aient marqué mon enfance. Ma grand-mère maternelle, qui commençait déjà à perdre la tête, m'a souvent raconté qu'elle détestait la reine Elisabeth de Belgique. Elle l'avait, disait-elle, rencontrée sur le front de l'Yser où, devenue infirmière, elle soignait les blessés avec une brosse à chiendent... Bien entendu, ce n'était pas vrai. Lisa n'avait jamais été sur le front de l'Yser puisqu'elle était exilée en Angleterre. Mais qu'importe, pour moi, ce récit de la reine infirmière était effrayant. D'ailleurs, n'est-ce pas, disait Lisa, c'était une Boche...

Mon père, lui, pendant ce temps-là, me racontait les combats des avions dans le ciel. Avec les gamins de son âge, il passait son temps à poser son oreille sur la voie de chemin de fer. On pouvait entendre les canons tirer loin, très loin de là. Il grimpait sur les terrils avec sa mère, sa soeur, ses frères, pour tenter de trouver quelques morceaux de charbon. Il me disait qu'ils mangeaient, parfois, des rutabagas. Je ne savais pas ce que c'était, mais le mot me semblait étrange et résonnait dans ma tête comme une formule de malheur. Le pain, quand il y en avait, était noir et collant. Fallait-il avoir faim pour le manger? Du reste, durant toute mon enfance, il n'y eut jamais que du pain blanc à table. 

Au début de ce siècle, je suis allé en Argonne avec mon ami photographe Jean-Marie Lecomte. L'Argonne avait été le siège de très nombreuses et meurtrières batailles. C'est du reste dans cette région que Blaise Cendrars perdit son bras. On aurait dit que le silence s'était posé sur les champs, les forêts pour de longues années encore. Des collines étaient nées, d'autres avaient disparu. Mais ce n'était pas une érosion naturelle. Elles avaient jailli ou sombré par la force des canons. Nous nous étions rendus dans un sentier. Avant, la colline était haute. Elle était maintenant au sommet des guérites dans lesquelles les soldats se protégeaient vainement de la mitraille. Il y avait des très nombreux cimetières. Certains discrets, d'autres plus grands. Mais tous fleuris. On y croisait des Français, des Allemands. On parlait à voix très basse ou on ne parlait pas. Il m'avait montré une autre colline complètement engloutie. Deux cent mille soldats y avaient perdu la vie sur peut-être deux kilomètres carrés de distance. C'était impressionnant. On ne se parlait pas et même le déclic de l'appareil photo de Jean-Marie semblait déchirer le silence. Argonne, terre muette...

Je vis aussi une sorte de tranchée améliorée où le soldat Rommel fit ses premiers pas dans l'armée. C'était une sorte de QG aménagé sous terre. Cent mètres en face de la tranchée française... La pluie, la boue, les camaradeds -Français ou Allemands- qui se décomposaient sur place, appelant sans rien dire les vers et les rats. 

Et c'était aussi comme cela sur le front de la Somme, sur celui de l'Yser et sur bien d'autres encore...

Le soir, quand nous rentrions, Jean-Marie, pourtant sorte d'Obelix bon vivant, restait aussi silencieux que moi. Fallait être en forme pour le lendemain. On finissait par déboucher une bonne bouteille. Mais une bonne, heine Joseph, il nous faut bien ça.

C'est chez Jean-Marie que j'ai vu le film "Un long dimanche de fiançailles". Qui est, l'histoire d'amour en moins, à la guerre 14 ce que le soldat Ryan est à celle que l'on dit, sans trop y croire, la dernière...

En voici un extrait avec d'autres photographies...

http://www.youtube.com/watch?v=0iRP_JB8lLU&feature=related

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