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Liège, hélas
14 juillet 2011

Je n'ai jamais aimé l'école

Je me souviens du premier jour en "gardienne". J'avais quatre ans. Je n'ai pas pleuré quand les portes du pénitencier se sont fermées. Dès la première seconde, je me suis senti comme étranger parmi les autres. Cet univers n'était pas à moi. Et moi, j'étais d'un autre atome. À dire vrai, les jeux de picotage, le triangle, le tambourin et apprendre "Sur le pont d'Avignon", ça m'emmerdait franchement. À l'époque, la gardienne n'était pas obligatoire (et dire que certains pensent rendre l'école obligatoire dès l'âge de trois ans!!!). Et, après tout, disait mon père, je ne faisais rien de mal à lire dans ma chambre ou à découvrir mes amazonie au fond du jardin. J'ai peut-être fait quinze jours ou trois semaines de gardienne.

Puis vint l'obligation des primaires. Je m'y suis emmerdé encore plus. Le moindre rhume était prétexte pour moi à m'absenter durant au moins une bonne semaine. J'avais la guérison difficile et des fièvres à faire exploser le thermomètre. Surtout quand je le passais sous la flamme d'une bougie. Mais, je l'ai sans doute déjà dit ici, j'ai eu la chance de faire d'excellentes études primaires. J'étais un élève brillant, je dois l'admettre. Ma mère en déduisait que j'adorais l'école, ce qui me mettait toujours dans un état de rage intérieure indescriptible. Non, je détestais l'école, je préférais mes livres et tous les continents inventés dans ma prairie. 

Après mes quatre premières années à la campagne, ma mère a commencé à déménager (au sens propre comme au figuré). J'ai donc suivi ma cinquième et sixième dans deux endroits différents. Comme les instituteurs ne me connaissaient pas, ils décidèrent, à chaque fois, de mettre l'intrus au fond de la classe à côté de l'élève le moins doué, histoire de voir si l'intrus n'était pas un tricheur... Je ne disais rien, mais ça me blessait profondément. C'était encore une époque où l'instituteur n'hésitait pas à mettre une claque ou à humilier les enfants sur l'estrade. 

Puis vinrent les "humanités" comme on disait alors. Ce fut encore pire! Ne parlons même pas des Jésuites. Des insultes publiques de certains "profs". Je n'ai rien retenu des cours de physique, biologie, math ou autres chimies. J'avais quatorze ans, mon père était mort, j'étais donc libre. Même si, comparé à ma mère, Alcatraz avait des allures de camp de vacances pour privilégiés. Je me suis donc amusé à détourner le règlement interne. À calculer mes jours d'absence de manière à avoir,51% de présence enfin d'année (sans quoi, je devais automatiquement doubler). à avoir suffisamment de points pour être dispensé de l'examen de fin d'année. Ce qui m'excluait automatiquement du fameux "palmarès". Au grand dam de ma mère qui aurait bien voulu voir son fifi soi-disant bien aimé en haut de l'affiche. Je lui fis ce plaisir en dernière année et plus encore, je fus couvert de prix: français, histoire, rédaction, élocution, etc. Ce qui me valut l'exclusion de mes condisciples qui se demandèrent comment ce con d'Orban qui ne venait jamais aux cours avait pu obtenir autant de récompenses. 

Non, à l'époque, je n'avais plus de prairie, je n'avais plus de jardin. Je passais mes journées et mes nuits avec Verlaine, Rimbaud, Baudelaire d'abord. Avec Cendrars, Henry Miller, Dosto, Faulkner, Violette Leduc (qui reste, toujours pour moi, la plus grande écrivain du siècle passé) et aussi Le Voyage... De bien mauvais compagnons, sans doute. Le tout entre l'une ou l'autre séance de branlette d'autant plus profonde qu'elles étaient secrètes.

Il y a trois ans, j'étais là, en septembre, pour assister à l'Entrée d'Elise à l'école. Ça m'a ramené près d'un demi-siècle en arrière. Je n'ai pas pleuré. Mais je l'ai fait en remontant la rue. En pensant qu'elle en avait pour au moins douze ans de peine. Elise n'a pas de prairie, n'a qu'un petit jardin. Mais, heureusement, je la vois s'enfermer dans des livres, je l'entends improviser des pièces de théâtre avec ses poupées. Je me dis que, comme son vieux singe de père, elle sait passer entre les barreaux. Et se trouver d'autres Amazonies que les faux Eldorado que l'école leur moule.

Alors, le vieux singe retient ses larmes. Car, ça pleure aussi, un papa...

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