Best-seller
Voici quelques mois, une amie de plus de trente ans se désolait et se demandait comment "avec le talent que tu as", je ne sortais pas un best-seller... La question m'avait fait doucement rire. Ma réponse avait été toute simple : "parce que j'en suis incapable". Ce n'est pas de la fausse modestie, c'est un simple constat. Une évidence quelque peu prétentieuse même. Je me vois mal, en effet, commencer une rédaction qui pourrait plaire au grand nombre. À une foule qui baverait en attendait le tome II, puis le III...
À mon retour du Mexique, en 1989, j'étais tombé sur une annonce d'un éditeur français qui proposait, à l'époque, l'équivalent de 1 500 euros + un pourcentage sur les ventes d'un roman pornographique... Je ne le savais pas encore, mais c'était quand même mieux que les 500 euros d'avance + 40 centimes à l'exemplaire vendu que me refilera Luc Pire pour mon "roman".
À l'époque, 1500 euros, c'était trois mois de chômage ou 7 mois de loyer. Je me suis donc lancé dans l'aventure. Un roman porno, rien de plus facile à écrire. Eh bien, non, au bout d'une dizaine de pages, je me suis retrouvé en train de "faire de l'orban". C'est-à-dire en train de me retrouver face à ma "musique scripturale". C'était un peu comme si j'avais inventé le dodécaphonisme pornographique. Et j'imaginais déjà la tête de l'éditeur recevant mon manuscrit : mais, monsieur, ça ne fera bander personne, ce machin... Mon problème, mon vice diront certains, c'est que je n'écris qu'entre les lignes, qu'entre les mots et que c'est dans cet "entre-trois" que le lecteur doit déchiffrer... Un peu comme si j'étais un écrivain cunéiforme.
Dans le milieu des années nonante, pour me gratter le nez, j'avais écrit, en deux semaines, un polar. L'ayant lu, un ami de l'époque l'avait fait parvenir à Jean-Bernard Pouy. L'éditeur avait trouvé le livre absolument génial et m'avait juré qu'il le publierait, sinon chez lui, au moins dans la Série Noire endéans les trois mois. Ne le cherchez pas dans les rayons des librairies, l'ouvrage n'est jamais paru. Jean-Bernard Pouy l'ayant, finalement, trouvé trop subversif... Je ne peux lui en vouloir, comme moi, Jean-Bernard est un anar qui traverse entre les clous.
Tout cela pour dire que je suis totalement incapable d'écrire un best-seller.
Le problème, aujourd'hui, est différent. Cela fait deux ans que je suis reconnu comme inapte au travail et donc comme invalide "à plus de 66 %". C'est "grâce" à cela que je perçois une rente de 1 014 euros par mois. Mais alors, allez-vous me dire, j'ai donc tout le temps de rester scotché devant ma feuille et à la noircir de mille et mille mots ! Que nenni... Ce nouveau "statut" m'interdit, en effet, d'écrire encore la moindre ligne, le moindre mot. Ce qui, somme toute, est logique puisque l'on m'a reconnu inacapable de tout travail.
À la limite, un inspecteur scrupuleux et honnête pourrait considérer que la rédaction de mon blog est un travail. Mais, si tel était le cas, ce ne serait pas trop trop grave, je pourrais malgré tout me retrouver à l'assistance publique et bénéficier d'une rente mensuelle de 700 euros... Il y a pire dans le monde, non ?