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Liège, hélas
6 novembre 2010

Le livre relatif

Considérons, pour prendre un chiffre rond, qu'il y a 6 000 000 000 de personnes qui vivent sur Terre.

Je fais un petit calcul : cela signifie qu'il y a 5 599 999 886 personnes qui n'ont jamais lu un seul de mes livres. Si je fais confiance aux chiffres avancés par mon éditeur. Si on peut considérer que Luc Pire est un éditeur. Auquel cas, on peut considérer aussi que je suis le meilleur centre-avant de l'histoire du football. Pour faire une comparaison plausible.

Mais, ne parlons pas de moi.

Sur ces six milliards de survivants terrestres, il y en a, certainement, plus de cinq milliards qui n'ont jamais entendu le nom de Proust, Flaubert, Céline, etc. Et plus encore qui n'ont jamais lu une seule ligne de ces gens. Ces "ignares" vivent-ils plus mal pour autant ? Je ne le pense pas. On pourrait dire la même chose pour Beethoven, Michel-Ange, Picasso, etc. C'est dire la toute grande relativité de l'art... Surtout dans un monde où la seule importante importance se résume aux billets de banque.

Une lettre de Flaubert est-elle plus importante que le ventre d'un enfant qui explose, rongé par les amibes et vidé de toute nourriture depuis plusieurs jours ? Je ne le pense pas. Et même si cet enfant, comme tant de millions d'autres, avait pu entendre les mots de Gustave, son ventre aurait tout de même explosé.

C'est dire l'importance relative du livre. Des arts.

À la traditionnelle question de savoir quels livres (toujours au pluriel, pourquoi?) j'emporterais sur une île déserte, je réponds toujours : un dictionnaire. Simplement parce que le dictionnaire est le livre de tous les livres et qu'à partir de li, quand bien même toutes les bibliothèques du monde auraient brûlé, on trouverait des artisans pour faire revivre les cendres...

Bien sûr, j'apprends aussi à Elise le goût des livres. Pas rien que de leurs mots, mais aussi celui du toucher du papier, de l'odeur des encres (même si, aujourd'hui, les encres n'ont plus ce parfum de plomb). Je lui dis aussi que le métier d'écrivain est le plus honteux de tous. Le plus "innoble". C'est comme si je chantais Malbrough : elle est très fière que papa soit écrivain. Gamine de merle, va.

L'autre jour, j'étais allé la rechercher à l'école. Le père d'une de ses copines m'aborde en me demandant si je suis le papa d'Elise, je réponds que oui. Oh, monsieur, je voulais vous dire que je prenais beaucoup de plaisir à lire vos lettres du soir sur le blog de l'école. Moi : merci, monsieur. Et la gamine de merle : ben, c'est normal que tu aimes bien parce que mon papa EST ECRIVAIN !

J'ai regretté le temps de mon enfance où si jamais j'avais osé ouvrir la bouche, ma mère m'aurait claqué de suite "les enfants se taisent devant les grands"... C'est dire si j'ai très tôt appris le silence... Ne parlons même pas du fait de tutoyer un adulte !!!

Comme je dis toujours, les écrivains sont des bavards impénitents, surtout quand ils se taisent...

La question de l'île déserte ne se pose même pas. D'abord parce que je n'irai jamais sur une île déserte. À quoi bon, puisque cela fait maintenant 53 ans que je dérive sur l'une d'entre elles. Mais, malgré tout, Elise, si cela devait t'arriver un jour, un dictionnaire, rien d'autre, même si ce n'est pas nécessairement celui-ci...

 

apli

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Commentaires
F
"dans un monde où la seule importante importance se résume aux billets de banque."<br /> <br /> Au moins, autrefois, au temps ancien des francs (1), pouvait-on voir des écrivians ou des compositeurs sur les billets de banque. Même cela nous est aujourd'hui refusé. <br /> <br /> (1) et non "au temps des anciens Francs"
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