20 juillet donc

Je venais d'avoir douze ans. Cela faisait quelques années déjà que je m'intéressais à la dernière grande exploration humaine. Depuis Icare jusqu'alors. En passant par Ader, Blériot et Lindbergh que Charlebois chantait. Les magazines pour jeunes m'aidaient bien. Tintin avait déjà été sur la Lune et, dans Pilote, il y avait de grands posters associés aux missions préparatoires. Avec le peu d'anglais que je connaissais, j'avais écrit à la Nasa pour demander s'il n'était pas possible de recevoir un peu de documentation. J'avais simplement écrit "NASA, USA" sur l'enveloppe. Quinze jours plus tard, j'avais reçu de grandes photos couleurs ainsi que l'autocollant d'Apollo XI. Je n'étais pas peu fier.

Quelques années auparavant, je me souviens d'une discussion entre mon père et quelques autres personnes plus âgées encore que lui. D'anciens ouvriers, d'anciens mineurs. Personne ne croyait à la conquête de l'espace. Sauf mon père qui leur disait "Si, si, ils arriveront sur la lune. Vous verrez. Même si moi je ne le verrai pas". Il avait ri. Mon père était aveugle.

Enfin était arrivé le grand jour. Nous n'avions la télévision que depuis un an à peine. C'était un grand jour, c'était surtout une grande nuit car j'avais eu l'autorisation de me lever au milieu d'elle.

Pourtant, lorsque mon père est venu me tapoter sur l'épaule, je n'ai pas bougé. Il est allé "regarder" l'événement tout seul. Faut dire que quelques heures auparavant, sur mon petit vélo bleu à freins torpedo, j'étais allé tellement vite sur la piste de la Cipale que personne, même pas Luc Varenne, ne m'avait vu dépasser Eddy Merckx. Comme personne, les semaines précédentes, ne m'avait vu le battre au sprint ou le larguer dans les montagnes.

Mon triomphe avait été complet et je méritais bien le repos des héros. Je ne me suis donc pas relevé en pleine nuit pour regarder les hommes poser le pied sur la Lune. Et puis, la Lune, c'était mon amie. Personne n'avait le droit de la toucher...