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Liège, hélas
18 mai 2009

Le premier tri

D'abord, dès que l'on est en âge de "comprendre", on nous fait croire à l'importance de l'amitié. Eventuellement aussi de l'amour. On ignore pourtant, à quatre ans, que l'école est notre première prison. Qu'elle ne nous apprendra rien ou presque. Sinon du convenu. De l'immuable. Que cette prison est là pour nous apprendre à ne  pas trop penser. On ignore encore que l'on sera transféré d'une prison à l'autre et, à chaque transfert, condamné à l'exil des amis. On ignore que la condamnation portera sur douze ans parce que, au moment où l'on franchit pour la première fois les grilles du pénitencier, douze années nous semblent l'éternité.

Le premier tri n'est pas un acte volontaire, il arrive par la force des choses. Peu avant vingt ans, il faut choisir un premier chemin. Poursuivre celui de la prison ou prendre celui du bagne du travail. On sait alors que l'on ne verra plus jamais certaines personnes. Bien souvent, on s'en fiche ou on en est heureux. On a vingt ans et l'on étouffe d'orgueil. Même les plus timides. Mêmes les plus introvertis. Selon la voie choisie, à vingt ans, on est plus grand qu'Arthur Rimbaud, on piétine Bach, on macule Picasso, on dribble Pelé... Le tout sans avancer vraiment. On pense peut-être que l'amour découvert par hasard est la plus grande chose au monde. On ignore encore que l'amour n'est rien d'autre qu'une pulsion  animale. Ou alors, on feint de ne pas le savoir car cela salirait tout alors qu'on croit avoir toujours le coeur plus ou moins pur. On se trouve des nouvelles personnes. On se trouve des points communs, voire des affinités peut-être même plus...

On marche sans savoir où l'on va. La mort est encore, semble-t-il, bien lointaine et certains sont même persuadés de ne jamais la croiser. Ceux-là, en général, on les recroise dix ou quinze ans plus tard, la cravate rayée soulignant la panse obèse de la "réussite".

On ne sait pas encore que les voyages déforment la vieillesse. Alors, on voyage, on fait semblant ou bien on ne bouge pas. Cela revient au même...

Personnellement, mon premier tri, je l'ai fait aux alentours de la trentaine, à mon retour du Mexique. Au bout de ces trois années, des gens qui ne m'avaient plus donné le moindre signe de vie, la moindre carte même de fin d'année, retrouvèrent la plume et les timbres pour me demander de bien vouloir leur rapporter ceci ou cela. De retour au "pays", ils m'annonçaient n'avoir pas eu le temps d'écrire. Comme s'il fallait trois ans pour un bonjour. Sourire.

D'autres semblaient contents de me revoir. Il fallait absolument que je vienne manger chez eux, chez elles. Je n'avais qu'à attendre leur invitation. En vingt ans, certains, certaines n'ont jamais eu le temps d'inviter. C'est que, tu vois, je suis tellement occupé(e). Sourire. Ce fut mon deuxième tri...

Le demi-siècle est d'une durée bien plus éphémère que les douze années interminables de l'enfance. Il arrive plus soudainement que la foudre. On continue de marcher. On se réjouit d'un sourire, d'un verre d'eau, d'un chant d'oiseau. De choses de plus en plus futiles.

On se dit que l'amitié n'était jamais qu'un leurre. Mais un leurre sans doute plus nécessaire que  l'odieux amour. Cette inutile douleur à laquelle on vous faisait croire jadis.

Jadis, on nous disait que "dieu" était amour. Avec le temps, on se rend compte que l'amour est démon. On peut très bien survivre et mieux encore vivre sans jamais le rencontrer.

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Commentaires
F
Hélas, oui, criant de vérité.
D
très beau et véridique
Liège, hélas
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