Vivre en accord avec...

Une amie, très chère, qui reste malgré tout une amie, même si je l'envoie (trop) souvent voir aux six mille diables, m'envoie un message un peu réprobateur et surtout un peu triste de sa part. "Essaye déjà de vivre en accord avec ce que tu écris" me dit-elle. Je la sens sincère. Je sens qu'elle ne ment pas. Que, quelque part, ça la rend triste de m'entendre dire que je suis un con, une ordure, un moins que rien et tout le tralala. Cela prendrait trop de volumes de faire la liste de mes défauts.

Le problème est justement là. Et on en revient une fois de plus à Platon. Car, n'est-ce pas, on en revient toujours à Platon. À sa notion de poète (ou de n'importe quel autre artiste) exilé , forcément exilé, de la cité.

Un artiste peut-il vivre en accord avec ce qu'il écrit (ou peint, sculpte, musique, etc) ? La question ne se pose même pas car la réponse est nécessairement NON !. Vous imaginez Sade vivre en accord avec ce qu'il écrivait ? Ou Cioran ? Ou Kafka ? Ou Céline ? Ou Faulkner ? Bref tous ceux que je considère comme "grands". Vous les connaissez maintenant. 

L'artiste est un être qui vit constamment aux frontières de mille schyzophrénies. Il a beau hurler sa haine de l'amour pour dire son besoin d'amour, aucun être vivant ne peut supporter de vivre avec cette sorte de chose. Sinon quelques mois, quelques semaines, peut-être.

L'artiste n'est pas, loin de là, un être supérieur. Il est "simplement" hors du temps, hors de son temps. Il est invivable, même pour lui. Il ne se supporte pas, trop conscient qu'il estde son incommensurable connerie. Quand un artiste écrit "je t'aime", il cesse immédiatement d'être artiste. C'est pourtant, paradoxe immense, la première phrase qu'il écrit.  Sans savoir, au début, qu'une déclaration d'amour est une forme profonde de suicide. Jamais raté. Toujours réussi.

L'artiste ne vit qu'aux frontières des cités. Et personne ne l'y laissera entrer. Personne. Sinon, il deviendra, au mieux, un épicier...