Ce soir pour la dernière fois...
... je vais dormir dans le Palais du Bois l'Evêque. Enfin, je ne sais pas si je vais parvenir à m'endormir. L'endroit représente quand même trois quarts de ma vie "d'adulte". Ce qui n'est pas rien. L'endroit où je dormirai demain (peut-être) est trois fois plus petit que le Palais. De sorte que j'ai dû balancer beaucoup de choses. Pas assez malgré tout car tout ce que j'ai gardé ne tiendra pas dans ce petit appartement. Qu'importe.
Je devrais encore éliminer certains livres. Y compris les miens. Ou d'autres manuscrits entamés et jamais terminés parce que je les trouvais nuls. J'ai tout jeté. Ce quart de siècles passé ici sans avoir l'air de rien, n'a guère rassemblé à l'âge d'or. Avec plus de périodes de misère que de mintues de bonheur. J'ai retrouvé le gros dossiers du procès qui, pendant deux ans, m'avait opposé à mon dernier patron. Il ne me pait pas, ce qui n'était pas trop grave (j'avais l'habitude), mais il ne payait pas non plus mes cotisations sociales. De sorte que, pendant deux ans, avant que je ne gagne le procès, j'ai survécu grâce à l'assistance publiques et, surtout, à l'aide de quelques amis. Je n'ai pas relu le dossier. Je l'ai mis à la poubelle. C'est mieux.
Je n'ai pas tellement de regrets. Sinon, peut-être, celui qu'il est interdit de brûler du papier dans les jardins de Liège. Ça fait plus de trois ans que je vis comme dans l'entre-deux guerres, sans eau chaude, sans salle de bains. On n'en meurt pas. Mes seuls regrets sont futiles. Comme mon inutile vie.
Je regrette le sourire de la dame octogénaire qui offrait une friandise à ma fille quand elle la voyait. Le regret de certains voisins avec qui j'échangeais quelques banalités sur la vie chère, les bus en grève, etc, la liste serait longue. Le gros André qui, chaque année, suivait le tour de France dans son mobil-home pour voir la course, mais, surtout, pour rapporter des petits vins du coin. Mon voisin analphabète (ce n'est pas une insulte, mais une réalité) qui venait très souvent tambouriner comme un sourd à ma porte. À sept heures du matin ou à dix heures du soir pour me faire lire une lettre qu'il avait reçue. Non, lui, finalement, je ne le regrette pas vraiment. Pas du tout même.
Le bruit du démarrage, tous les jours à dix heures, d'une deux chevaux rouge. Sa propriétaire, une grosse dame aux antipodes des mannequins des magazines, m'avait dit un jour que sa voiture allait bientôt avoir trente ans. Je ne lui ai jamais connu que celle-là.
Demain, mon plus grand regret, c'est que je ne pourrai plus aller pisser au nez des étoiles et au coeur du jardin. J'y vais d'ailleurs de ce pas. Histoire d'en profiter encore.
Demain, je dormirai sous un autre toit. Et ce sera comme un enterrement sans corbillard. Après-demain, les voisins ne se souviendront plus de moi...