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Liège, hélas
10 août 2013

Je me souviens IX

Je me souviens de la petite statuette phosphorescente de l'Enfant-Jésus de Prague que ma mère avait achetée à Tongres et déposée sur ma table de nuit pour qu'elle prenne soin de mon sommeil. Je me souviens que je le recouvrais toujours d'un bout d'étoffe tellement elle me fichait une peur de tous les diables quand je m'éveillais la nuit. 

Je me souviens d'un portrait du christ agonisant qu'une de mes tantes m'avait offert à son retour de Rome. Le visage sanguinolent se trouvait sous un cadre bombe et ovale. Par un effet d'optique dont j'ignore toujours le secret, peu importe l'endroit où l'on se trouvait, il vous suivait des yeux. Je me souviens qu'au bout de trois jours, je l'avais maladroitement fait tomber du mur et que, tout aussi malencontreusement, je l'avais brisé en marchant dessus par inadvertance.

Je me souviens, même si je n'étais pas né, de la guerre 40 car elle était encore tellement présente qu'il ne se passait pas deux jours sans qu'on en parle. Je me souviens que, dans les années soixante, les gens disaient toujours les Boches pour les Allemands et que tous les Macaronis avaient fui l'Italie pour éviter la vindicte locale car ils étaient tous des amis de Benito.

Je me souviens que ma mère avait été vaguement résistante. Qu'elle passait des  armes et qu'elle avait caché, un peu plus longtemps que prévu, un aviateur de la RAF dans sa maison. Je me souviens qu'elle avait refusé la petite rente que l'Etat versait aux résistants sous prétexte qu'elle n'avait fait que son devoir de patriote. Je me souviens que, fin des années soixante, elle était entrée dans une rage folle en apprenant que Untel et Untelle touchaient cette rente et que, avant d'avoir été des résistants de mai 45, ils étaient plutôt copains comme cochons ou truies avec les occupants.

Je me souviens d'un ami de la famille qui ne supportait plus d'entendre parler l'allemand, même à la télévision. Je me souviens d'un autre qui était revenu des camps (à savoir une ferme) avec dix kilos de plus. Je me souviens qu'il regrettait l'époque de Hitler car, au moins, les rues étaient propres. Je ne me souviens pas qu'on l'ait tondu à sa libération, ni qu'on lui ait enfoncé une matraque dans le cul sous prétexte d'entente plus que cordiale avec la fermière.

Je me souviens des photos de Stukas et de V1, ces derniers mis au point par Von Braun qui trouvera la gloire sur la Lune deux décénnies plus tard. Je me souviens de l'exemplaire du Soir clandestin que ma mère avait acheté à l'époque et qu'elle conservait comme une relique. Je me souviens qu'elle disait que, le jour de la Libération, tous les trains en gare des Guillemins avaient actionné leurs sirènes. Je me souviens qu'elle disait que tous les gens s'étaient mis à chanter, à danser, à rire, mais aussi à pleurer. Et que d'autres étaient allés dans leur cave pour ressortir le drapeau belge qu'ils cachaient depuis cinq ans. Et que d'autres avaient déchiré et brûlé les drapeaux nazis qui flottaient encore.

Je me souviens qu'en 1965, la guerre était loin d'être oubliée. Et que les gens regardaient encore en coin les citoyens qui avaient l'audace d'acheter une VW ou, pire encore, une Mercédes... Mais, bon, je me souviens que tout le monde achetait des aspirines produites par les usines Bayer... De ce côté, les gaz s'étaient dissipés.

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Commentaires
C
Je me souviens de l'Allemagne "occupée" que j'ai connue jusqu'en 1965, sans presque rien savoir de la Belgique où j'étais né. Mon père militaire avait acheté comme première voiture une VW, ensuite une Mercédès, et dans la garnison de Bensberg où il travaillait au contre-espionnage, nous habitions à deux pas d'une succursale pharmaceutique des usines Bayer. Un des rares contacts avec la Belgique c'était notre abonnement au journal LE SOIR. Ma mère y découpait les recettes de Gaston Clément, et moi les articles d'Adrien de Premorel. J'y lisais les aventures de Rip Kirby et de Max l'explorateur. Je me régalais des dessins de Horn que j'essayais d'imiter, et je rêvais devant les affichettes N&B des programmes de cinema qui déclinaient les noms des stars féminines de l'époque, comme par exemple Elisabeth Taylor dans "La Chatte sur un Toit Brulant".
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