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Liège, hélas
4 mars 2013

Oui, mais, on dort

Il arrive parfois que la vie vous assassine tout en vous laissant vivant. Et seul, devant votre vide. Votre inanité. Alors, pour fuir cette angoissante image, on dort. Et c'est un long hiver. Et c'est une longue nuit sans sommeil. Comme ces nuits atroces où vous rêvez que vous dormez. Mais le rêve aussi a cessé de vivre. 

On dit souvent que les gens heureux n'ont pas d'histoires. Mais, s'ils n'ont pas d'histoires, à quoi leur sert-il de vivre ? Comme s'ils se contentaient d'être un galet déposé sur une plage et heureux de savoir qu'ils n'ont pas de prédateurs. Malgré les soleils brûlants, malgré les pluies glaciales, dans dix mille ans, ils seront toujours là. Les gens heureux...

Cela fait maintenant plus de dix ans que je dors en hiver. Six mois au Pôle Nord, les six autres au Sud de manière à ne plus voir le soleil. Même dans des yeux amis. Les seules éclipses étant celles du regard de ma fille lorsqu'elle vient me voir. Forcément, les amis deviennent de plus en plus rares. À commencer par ceux qui sont déjà partis vers le nulle part.

Puis il y a aussi ceux qui sont devenus heureux et à qui leur seul bonheur suffit. Et qui s'en vont joyeux vers des courses lointaines sans jamais revenir vers vous. Et vous voilà merveilleusement seul. Coquille de noisette résistant aux ouragans, cyclônes et typhons, vous moquant des tempêtes et même des montagnes de glace. Seul. Merveilleusement. Rendu tellement sourds par les lames rugissantes que vous n'avez même plus beoin de cire dans les oreilles pour résister au chant des sirènes. Parce que vous savez qu'elles sont toutes des assassines. Impitoyables et plus haineuses encore que la haine. Et que même, si par malheur, vous en croisez une un jour, votre instinct de survie vous fera plonger dans les abysses, là où les poissons ne peuvent plus voir.

Et puis voilà qu'un jour, vous vous retrouvez sur une plage. Epuisé. Tellement décharné que les vautours se moquent de vous et passent leur vol. Les doigts tellement rapeux qu'il ne sont plus capables de la moindre tendresse. La bouche tellement tarie que votre baiser semblerait d'émeri. Vous délirez, mais vous ne le savez pas. Vous entendez des musiques célestes. C'est curieux: ce sont les morts qui viennent vous dire bonjour. 

Vous vous souvenez des lettres que vous avez reçues et il semble que quelqu'un soit venu déposer une lettre. Vous entendez une voix vous demander si elle peut entrer chez vous. Ce n'est pas une voix de sirène et vous répondez oui. Et la voix vous conduit vers ce qui vous semble votre linceul et qui n'est rien d'autre qu'un lit. C'est étrange, mais vous n'avez plus peur. C'est la première fois, depuis dix ans, que vous n'avez plus peur. Et la voix vous dit: "oui, mais, on dort".

Et vous savez que vous n'allez pas dormir...

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