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Liège, hélas
21 février 2013

Comment j'ai cessé... V

Cela faisait déjà quelques semaines que je voyais du courrier de huissiers s'amonceler sur le bureau. Comme on dit, ça sentait le sapin. De fait, trois ou quatre mois plus tard, en me rendant au travail, je trouvai porte définitivement close. En attendant, un peintre s'était désisté et il fallait absolument lui trouver un remplaçant. Tâche délicate car les aartistes n'aiment pas être pris pour des bouches-trous. M'ayant déjà fait entuber plus qu'à mon tour, malgré mon jeune âge, je proposai à Michel de monter un canular. Qu'il accepta de suite. C'est ainsi que naquit Lukas Kramer.

La mode était alors au neo-expressionisme allemand. Tout ce qui venait de Berlin était forcément génial. Sur le carton d'invitation, j'expliquai que Lukas était un jeune berlinois en phase terminale. Et que sa soeur Hannah, rencontrée par hasard à Berlin (ville où je n'avais jamais mis les pieds) m'avait demandé si je ne pouvais pas trouver un endroit où exposer les peintures de son frère.

Mais il y avait un problème de taille: c'est que je suis un piètre dessinateur. Pendant un mois, après le boulot, je me mis à peindre une trentaine de peintures sur papier. Toutes plus hyper-pornographiques les unes que les autres. Il fallait bien justifier les peurs d'Eros devant la faux de Thanatos. Je l'avoue, le résultat n'était pas terrible, sinon dans la provocation. Le scandale éclata deux semaines plus tard quand je révélai le coup à certains amis. Beaucoup en rirent, d'autres, dont un critique, m'en voulurent à mort. C'est qu'on ne se moquait pas de l'art. Comme si l'art ne se moquait pas du monde.

L'exposition eut beaucoup de visiteurs. Dont une bonne soeur qui, lors de sa deuxième visite, vint avec une autre soeur pour me dire combien était géniale cette représentation de l'amour physique en présence de la mort. Chose curieuse, Lukas vendit une petite dizaine de pièces. Il est vrai qu'à cinq mille francs belges (125 euros) la peinture, les amateurs ne risquaient pas grand chose. 

Quelques années plus tard, Jacques Lizène me proposa de jouer le rôle de Lukas dans un film qu'il tournait. Je devais tenir une peinture et la déchirer en disant: "De toute manière, cette peinture, c'est de la merde". L'équipe de tournage fut pétrifiée. Il n'y avait guère que Jacques et moi en train de rire. Mais alors pourquoi, l'équipe ramassa-t-elle les morceaux avant de me demander de les signer?

Quelques années plus tard, il y eut un autre émoi. Lukas n'était pas mort. Il s'était tourné vers la "calligraphie", avait participé à plusieurs expos, personnelles ou de groupe. Lors d'une de celles-ci, la Ministre de la Culture (quelque chose comme ça), en visite, décida d'acheter un Kramer. C'est ainsi que Lukas s'est retrouvé dans les collections de l'Etat. Au grand dam de certains peintres liégeois qui m'en voulurent plus encore. Mais comment fais-tu ? Tu n'as pas fait l'Académie, tu ne sais pas peindre. Et l'Etat t'achète. C'est scandaleux! Comment fais-tu ???

Question de style, répondis-je.

IMG_0523

Cravate signée Lukas Kramer

Série Lukas Kramer is watching you

P.S.: Il me reste encore une trentaine de calligraphies. À mille euros. Ou pour rien, selon ma mauvaise humeur du jour.

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Commentaires
P
Très joli coup !<br /> <br /> Certains artistes sont vengés.<br /> <br /> Cramage lumineux, perversère encore...
M
Dans la Série "Lukas Kramer is watching you", existe-t-il d'autres pièces uniques ?<br /> <br /> :)
Liège, hélas
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