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Liège, hélas
1 février 2013

Des larmes, mon amour

Tout à l'heure, je ne sais pas pourquoi, je repensais au connard qui, en pleine rue, m'avait annoncé la mort de Hubert Grooteclaes. Je ne sais pas pourquoi, les larmes me sont venues. Et quand je pleure, je pleure. Je tchôule, comme on dit à Luik. C'est beaucoup plus fort que pleurer. J'étais resté paralysé au milieu de la rue. Je m'étais rendu chez un couple d'amis qui tenaient une boutique Ils savaient. Je leur avais demadé si je pouvais aller aux toilettes. Oui, oui Joseph. Ils se doutaient bien que j'alais me cacher pour tchouler. Mais mon chagrin était bien peu de chose. Quand Hubert est mort, là, d'un coup, en une seconde, sur le seuil de sa maison, sa fille Pascale venait ou était sur le point d'accoucher. Alors, vous pensez, mon chagrin à côté de celui de Pascale... 

Quelques années auparavant, Hubert m'avait demandé si je ne voulais pas lui écrire un texte sur le "père spirituel". Mais, tu m'excuseras, je suis obligé de le signer de mon nom. Qu'est-ce que je m'en foutais. Je m'en foutais d'autant moins que je considérais Hubert comme mon père spirituel. J'étais allé, bien entendu, à son enterrement. Bien entendu, tout le monde s'attendait à ce que je lise un hommage. Je l'avais d'ailleurs écrit. Mon cher Hubert, tu as choisi l'automne qui t'a veut naître pour partir. Vous voyez, le genre de truc comme ça. J'ai laissé le texte sur un plateau. J'étais totalement incapable de le lire. Après mon cher, j'aurais éclaté en sanglots. 

Bon, j'ai beau ne pas aimer les hommes, ni les femmes, j'ai parfois aussi d'impudiques pudeurs. Un mois ou deux plus tard, Ninette, sa femme, avait envoyé aux très nombreuses personnes présentes aux funérailles un mot de remerciements. Comme cela se fait d'ordinaire. Elle avait fait imprimer le texte que j'aurais dû lire. C'est mieux que les écrivains, les assassins, se taisent.

Deux ou trois ans plus tard, j'avais sorti un opuscule intitulé "Des amours grises, des ombres bleues". Un livre d'un optimisme démesuré dans lequel je parlais, entre autres, de mes amours ratées. Pas de toute, hein, parce que, il m'aurait fallu tout le bottin de Manhattan. J'avais aussi écrit un texte intitulé "Des automnes sans Hubert". Ninette m'avait prévenu qu'elle ne pouvait pas venir à la présentation du livre mais qu'un ami viendrait l'acheter. L'ami lui avait apporté et m'avait dit qu'il s'était senti mal à l'aise. Ninette avait ouvert le livre au hasard et... oui, pas besoin d'expliquer quel était le premier texte sur lequel elle était tombée.

Les écrivains, ces assassins, ne pensent jamais aux lecteurs. Sinon, ils arrêteraient d'écrire ou s'appelleraient Amélie. Les écrivains sont de purs assassins, sinon ils perdent leur peu d'âme.

L'an dernier, j'avais un rendez-vous avec Marianne et Pascale, deux des trois filles de Hubert. Forcément, on a parlé de lui. Elles me parlaient de lui en l'appelant "papa". Je me suis dit que deux filles dans la cinquantaine, qui appelaient toujours leur père "papa", c'était admirable.

Alors, parfois, ces assassins, ces écrivains, ça leur arrive encore de pleurer. Un écrivain, ça assassine, ça ne pleure pas. Ça tchoule... Et, même s'ils s'en défendent, ça leur arrive encore, parfois, rarement, très rarement, de dire je t'aime. Mais il faut beaucoup de patience pour leur entendre dire ce mot qu'ils n'esquissent que rarement, très rarement dans une phrase qui prétend le contraire...

http://www.youtube.com/watch?v=Iqvy_SkVopo

 

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Commentaires
M
En patois bigourdan on dit chiouler, qui donne le mot populaire chialer.<br /> <br /> Le dictionnaire historique de la langue française évoque l'influence de verbes onomatopéiques d'aire wallonne, comme tschûler, , choûler...<br /> <br /> Chialer serait peut-être aussi à rattacher au moyen français chiau, petit chien (1552) dont la forme moderne est chiot, avec influence probable d'une locution comme "chier des yeux", pleurer (1616).
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