La dame aux bigoudis

Elle doit avoir plus ou moins trois-quarts de siècle. Elle vit depuis plusieurs années avec Parkinson. Elle habite au-dessus de ma rue. Hier, je la croise au moment où elle sortait de chez elle pour jeter un seau d'eau usée sur le trottoir. Elle faisait son samedi. Sur la tête, elle portait un filet de couleur rousse qui maintenait ses bigoudis en place. Cela faisait longtemps que je n'avais plus vu un dame en bigoudis. Depuis les années soixante sans doute.

Comme toujours, quand elle me voit, elle me dit bonjour, papote un peu et prend des nouvelles d'Elise. Elle est tombée sous le charme de la petite. Parfois, elle fait ses courses en même temps que moi. Elle m'attend à la sorite. Dites, monsieur, c'est pas grand chose, mais j'ai acheté ça pour la petite. Elle sourit en ne pouvant, hélas, s'empêcher de dodeliner de la tête.

Hier,  elle ouvre la porte de sa maison et me demande d'écouter. On entend son mari tousser et tousser. Il a de l'emphysème. Je suis épuisée, monsieur, je n'en peux plus. Il est sous oxygène en permanence. Ça fait six mois que ça dure, jour et nuit. Je ne dors plus. Difficile de trouver des mots pour l'apaiser, bien entendu.

Je ne dis rien. Elle me regarde. Oh, je vois bien ce que vous pensez, monsieur. Je pense comme vous... Si ça pouvait se terminer le plus vite possible...

Et, malgré son épuisement, malgré sa souffrance, elle a encore la force de sourire en me disant: Ah, monsieur, la vieillesse, la vieillesse !!!