Autocensure
Ce matin, tentant de faire vainement quelque rangement dans mes caves, j'ai mis la mains sur une pile de vieux Charlie-Hebdo. Je veux parler du vrai Charlie. Pas de celui volé par Val. Non, celui de Cavana, Cabu, Siné , Willem (ah! Willem, mon préféré) et tous les autres. De tous ces gens qui, jamais, n'auraient accepté de prendre la tête d'une radio à la demande d'un président.
J'ai commencé à acheter ce journal vers 15 ou 16 ans. Ce n'était pas évident car, en Belgique, il était, diable sait pourquoi, rangé au milieu des rares revues pornos de l'époque (revues qui étaient censurées d'un grand coup de marqueur noir sur les mottes, travail exécuté par... les prisonniers d'alors!!!). Un peu comme si on s'était masturbé sur Blondie ou, plus fréquent, sur le catalogue des 3 Suisses...
Au diable le rangement, j'ai ouvert un numéro, puis deux, puis trois et j'ai passé ma journée dans la cave. Heureuse surprise, 90% des textes et dessins n'avaient pas vieilli. Les gaillards ne craignaient pas la censure qui leur pendait sous le nez chaque semaine ou presque depuis le fameux "bal tragique à Colombey". Une légende veut qu'après chaque réunion hebdomadaire, le professeur Choron tirait au hasard un des trois papiers cachés dans une boîte. Sur le premier était écrit: "on boit", le deuxième "on baise", le troisième "on boit et on baise". Certains de l'équipe soupçonnaient même Choron de glisser trois fois le même papier avec le dernier message de peur d'être décu...
Depuis le 11 septembre 2001, j'ai constaté, avec beaucoup d'autres, qu'une sorte d'autocensure insidieuse s'est installée autour du monde. Chez les journalistes, c'est clair, mais chez les cartoonists aussi. Les grandes signatures des dessinateurs du New-York Times, par exemple, ne sont plus aussi aiguës qu'il y a dix ans. Leurs traits sont émoussés. Un peu comme s'il ne fallait plus déplaire à personne.
Or, même Louis XIV avait ses bouffons. Or, des bouffons, nous n'en avons plus. Ou alors de ceux qui n'oseraient plus dire le dixième du centième de leurs aînés. Mais il y a encore plus grave qu'un pays sans bouffon. C'est un pays dirigé par l'un d'entre eux. Façon Italie ou France, pour prendre des exemples proches. Même si on sait que ces "dirigeants" ne sont que pantins pendus aux fils de la sacro-sainte "Economie".
Le 11 septembre 2001, il n'y avait pas de blogs. Du moins, je ne savais pas ce que c'était. J'avais un ordinateur du genre tyranosaure qui mettait deux bonnes minutes pour ouvrir une page internet. Sinon, le lendemain, j'aurais posté ce photomontage que je viens de faire à l'heure de mes presque dernières heures...