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Liège, hélas
26 juillet 2011

Anastasie, Anastasia

Quand je mourirai, Elise n'aura plus aucun témoin du côté paternel. C'est la raison pour laquelle, voici cinq ans, je m'étais décidé à lui écrire mes origines (les siennes aussi, donc) d'après mes souvenirs d'enfance. L'adolescence et l'âge adulte n'ayant guère de richesses par rapports à l'âge des découvertes. Je ne voulais surtout pas faire un travail d'historien, de chroniqueur. Je voulais "simplement" lui raconter comment mon enfance s'était construite grâce aux récits que me faisaient mes parents, mais aussi ma grand-mère maternelle, de leur enfance, leur jeunesse, leurs errances. Peu m'importait de savoir si ce qu'ils disaient était vrai ou faux, enjolivé ou enlaidi. S'ils mentaient ou non. S'ils oubliaient certaines choses sombres pour mettre d'autres plus en lumière. J'étais un enfant, je les écoutais et je me faisais mes films.

Ça représentait quoi, la mine de charbon, quand mon père me disait que le Germinal de Zola, à côté de la réalité, c'était un conte de fées? C'était quoi, cette Saint-Nicolas dans les corons de Seraing où, mon père, ses frères et sa soeur découvraient émerveillés une orange que son père s'empressait d'aller rendre au marchand car il n'avait pas les moyens d'en acheter? Ma mère mentait-elle quand elle me racontait qu'avant de naître, sa mère avait perdu par trois fois des jumeaux et qu'elle était donc la septième, La Princesse donc qui ne connut jamais de Royaume mais voulut toujours être le tyran de son monde? Ma grand-mère détestait la Reine Elizabeth de Belgique. Elle l'avait vue, disait-elle, sur le front de l'Yser, "soigner" les soldats belges blessés à l'aide d'une brosse à chiendent! Combien de fois,cette horrible vision n'est-elle pas venue se glisser dans mes rêves? Ce ne sont là que quelques exemples parmi mille autres.

Comme témoins de cette époque, il ne me restait plus guère que mes deux soeurs utérines. Je leur fis donc lire les premières pages. Et c'est ici qu'Anastasie et Anastasia intervinrent. Ma soeur puînée d'abord, généalogiste, me signala d'emblée que l'histoire de la Reine Elizabeth était totalement invraisemblable, notre grand-mère s'étant exilée en Angleterre durant toute la première Guerre. Et alors? Je le savais, mais cela m'importait peu. Mon aînée, ma marraine, me fit remarquer que ce n'était pas cette année-là que j'avais reçu tel jouet à la Saint-Nicolas. Et alors? Je n'allais quand même pas consacrer un chapitre à toutes mes Saint-Nicolas. Je les avais regroupées en une seule afin d'en souligner la magie. Et, surtout, celles des oranges. Il y en avait toujours. Comme ily en a toujours, chaque décembre, sur la table d'Elise. Il n'y en aurait peut-être pas sans la parabole de l'orange entendue dans mon enfance. Mais, surtout, je sentais, chez la Vieille (comme nous l'avons toujours appelée de manière plus facétieuse qu'irrespectueuse) comme une certaine réticence plus que solide: je ne devais pas tout dire. Principalement en ce qui concernait notre mère. Et pourquoi donc? Je n'ai aucune honte de mes origines, même si elles n'ont aucune trace de noblesse. Je suis, comme des millions d'autres personnes, issu d'une race de "pauvres gens" transmise depuis plusieurs générations. Comme dans toute famille, il y eut des buveurs, des travailleurs, des courageux, des filles-mères, des bandits, des voleurs, des putains et j'en passe. Cela se retrouve partout, même dans les sangs les plus bleus.

Dois-je taire tout cela à ma fille? Je ne le pense pas.

Depuis le 11 septembre (il n'y a même plus besoin de préciser l'année), j'ai observé que s'insinuait une forme de plus en plus pernicieuse d'auto-censure. Chez les journalistes, les artistes. Et cela me semble très grave. Et c'est pour cela qu'aujourd'hui, je décide de reprendre le clavier et de poursuivre le récit de mon enfance. L'adolescence et tout le reste n'étant même pas littérature. Et, personne ne me fera taire. Sauf la mort que je souhaiterais plus que rapide si Elise n'existait pas...

 

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André Gill, Madame Anastasie, 1874

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