OUFTI 2015 !

Imaginons. Vous êtes professeur. En début d'année scolaire, vous prévenez vos étudiants que l'examen consistera en un travail personnel et libre à présenter en fin d'année.

Le jour de l'examen, votre étudiant se présente avec une feuille de brouillon, quelques notes hachurées à la hâte, des semblants de phrases couchées la veille sur le papier et, peut-être aussi l'une ou l'autre auréole rouge d'un pied de verre de vin dont vous percevez encore les effets dans les stries des globes oculaires. Vous avez beau avoir l'esprit large, être contre l'échec, que faites-vous ? Allez, soyons bons, vous lui dites de revenir à la prochaine session, avec un peu plus de sérieux. Je sais pas, moi, je suis pas prof. Vous tentez de trouver des mots pas trop blessants. Voire des encouragements. C'est très bien. Il y avait malgré tout un titre. Le copié/collé de Google n'est pas trop visible. Bon, ça reste un travail scolaire. Rien de plus. Mais, imaginons à présent que vous travaillez à la CE et que vous êtes chargé de choisir les villes qui seront capitales culturelles en 2015. Nous sommes le premier mars 2009. Le moment est venu d'ouvrir les dossiers de candidature des dites villes. Et vous avez la malchance de tomber sur le dossier liégeois.

C'est que, depuis quinze jours (trois semaines, peut-être), ça phosphore fort dans les milieux culturels mosans. On doit certainement faire les trois pauses afin d'arriver à rassembler quelque chose qui ressemble à un dossier de candidature. Bon, qu'est-ce qu'on met ? Si on mettait d'abord un verre ? Bonne idée...

Vous rigolez ? Pourtant, le dossier de candidature de la cinéraire cité pour 2015, c'est ça : un dossier de marabout et de bouts de ficelles scellés dans les temps. Manquerait plus qu'une grève de la Poste pour que ces trois semaine de semblant de travail tombent à l'eau...

Pourtant, à en croire la presse, il semblerait que tout Lîdje soit derrière LE projet. C'est vrai que mon voisin d'en face, celui qui organise le cortège de la Saint-Nicolas, a mis deux grandes affiches "OUI" à sa fenêtre. Ce qui m'a fait sourire. Même qu'on a déroulé une grande banderole dans le stade de Sclessin la semaine dernière. Vite remballée d'ailleurs, parce que les supporters du Standard, Liège 2015, ils en ont rien à cirer et la banderole les empêchait de voir leurs dieux.

Je ne nie pas que le village mosan possède certaines richesses culturelles. Même si, pour la plupart, faute d'intérêt, de soins, elle sont de plus en plus au stade de ruines. Je ne nie pas l'existence de nombreux artistes. Mais, le Liégeois lambda, il s'en fout des artistes. D'ailleurs, il ne les connaît même pas. Faut dire qu'entre un taux de chômage flirtant avec les 30 %, les faillittes commerciales et les fermetures d'industrie, Lambert Lambda, il en a rien à cirer des artistes. Des arts, de la Kuuuuultuuuuuuuuuure.

Mais, bon, d'accord, ce serait peut-être l'occasion de...

Alors, on commence par une pétition. Quelques valeureux chevaliers Bayards et paillards aux carrefours. Des artistes émergents, comme ils disent. Emergeant plutôt d'une cuite de Jupiler, mais, bon, on va pas leur jeter la pierre pour ça. Cougnons wallon, buvons liégeois. Certains même, dénonçant la "politique politicienne" s'exhibent plus Daerden encore que Papa Michel. Ce qui ne sert guère leurs lallations balbutiantes. On cherche vainement un sens à leurs propos incohérents. Oufti 2015 !

Comme si l'Europe était une fée qui allait faire pleuvoir les euros d'un seul coup. Une sorcière bien-aimée qui allait d'un souffle réparer la verrière dégoulinante du Musée d'Art Moderne, le plafond lèpreux de l'Opéra, les escaliers et les locaux pisseux des bibliothèques. J'en passe, la liste serait trop longue. 2015, c'est, au minimum, 50 millions d'euros. Deux milliards d'anciens francs belges. Ah oui, deux milliards, là, on voit déjà un peu plus ce que... Deux milliards, t'es certain ? Oui, et d'ici 2015, tu peux même tripler le chiffre.

Ah ! Oui !

Puis, de toute manière, ce référendum, on se demande bien à quoi il sert puisque, au bout du compte, ce sera au collège de décider si ou non "on" pose sa candidature. Quand bien même 99,999 % des Lambert Lambda voteraient oui (vous aurez compris que, personnellement, je voterai NON). Cela fait déjà plusieurs générations que Liège méprise les arts, les artistes. Y'a pas de raison pour que ça cesse. Un bon artiste est un artiste mort.

La seule fois où Jacques Izoard ou Hubert Grooteclaes (entre autres) ont eu plus de trois cents personnes à leur vernissage, ce fut le jour de leur enterrement. Envers les arts, Liège a toujours eu la politique du Mohican qui veut qu'un bon artiste soit un artiste mort.

C'est dire...

"2015, pour un projet pareil, c'est demain. Nous, à Maastricht, nous travaillons depuis trois ans sur le projet de capitale culturelle 2018" (Alexander Van Grevenstein, directeur du Musée d'Art contemporain de Maastricht).

C'est dire !

Nous, à Lîdje, on fait semblant d'y travailler depuis trois semaines...

NON NON NON À LIEGE 2015 !